Dans la lumière tamisée du lobby du Sofitel L’Impérial, une silhouette se détache. Une femme avenante dans une belle robe à fleurs et arborant un sourire radieux nous attend. C’est Shelina Permalloo gagnante de MasterChef UK2012. Nullement fatiguée par une journée passée au Salon du Livre, Confluences 2014, elle a hâte de nous faire partager son plaisir d’être parmi nous à Maurice. Elle, dont les parents ont quitté Maurice dans les années 70 pour les contrées tristes de Southampton en Angleterre, a hérité de toute la joie de vivre, du pétillement et de la simplicité de la vie mauricienne.
« Mon père, instituteur du primaire, avait été invité à travers le Commonwealth. Fraîchement marié, il devait s’y établir en compagnie de sa femme qui s’engagea comme infirmière dans le NHS. Ils nous ont élevés à la mauricienne. J’ai toujours vécu dans l’atmosphère mauricienne. Mes parents parlaient kreol à la maison, la nourriture était typique de Maurice avec les brèdes, lentilles, riz et cari », révèle-t-elle avec un grand sourire. De fait, elle est toujours souriante quand elle parle de nourriture, nous affirme-t-elle.
La cuisine, elle y a installé ses quartiers depuis l’âge de trois ans quand elle a commencé à trier le riz que ses parents achetaient par sacs de 25 kg, comme à Maurice. Très vite elle est fascinée par la richesse culturelle de l’héritage culinaire mauricien emprunté à l’Inde, à la Chine, à la France et à l’Afrique. « J’adore les briani, halim, mine frit, alouda et autres farata. Je suis fière de mon héritage et je le ressens encore plus à chaque fois que je reviens à Maurice ». La première fois qu’elle a foulé le sol mauricien, elle avait 11 ans. Elle passera environ sept semaines à découvrir l’île mais aussi toute sa famille mauricienne, partagée entre Flacq et Piton. Depuis, les visites se sont multipliées mais à chaque fois, c’est le même ravissement, la même joie « de marcher dans les rues et acheter des choses simples comme une paire de dal puri ou des gâteaux piments ». « C’est ce qui me rend vraiment heureuse », assure-t-elle avec des yeux gourmands.
Ce concours ouvert aux amateurs de cuisine connu mondialement maintenant en Afrique du Sud, en Inde, en Australie, en France et à Maurice grâce aux chaînes satellitaires, va lui permettre de se rapprocher de son rêve : faire un métier dans la restauration. Pourtant, Shelina n’avait encore jamais suivi de cours de cuisine mais plutôt étudié la psychologie et la gestion de projet pendant 10 ans. Mais le concours confortera sa décision d’exercer sa passion pour la cuisine.
Le concours s’étalant sur une période de trois mois, elle quitte donc son job initial. Un gros sacrifice qu’elle ne regrettera jamais. Elle aura quand même eu la chance d’habiter près du studio l’aidant ainsi à rentrer chez elle le soir. Mais c’est surtout l’excellente ambiance qui regne au sein des concurrents qui la marquera.
Quant au jury, il se compose d’un marchand de fruits et légumes et d’un chef de restaurant, que Shelina prendra au mot lorsqu’il lui demande pour mission de le surprendre. Et dès le premier jour, elle propose un menu purement mauricien avec des faratas, une daube de poulet et chutney de coco, samoussa et salade de mangues râpées. Le jury qui trouve un caractère unique à cette cuisine, très fusion, est conquis. Shelina enchaîne alors avec d’autres recettes puisées de son héritage: curry de homard, dhal pouri, salade ourite, briani de mouton, banane râpée, brèdes et autres spécialités mauriciennes. Bien évidemment, elle revisite les recettes que sa mère ou sa tante lui avait transmises en proposant par exemple au dessert des samoussas au chocolat et pistachio, ou encore sa gelée de mangue.
Au bord de la mer
Le jour de la finale elle dit sans ambages aux juges : « Je veux que vous vous sentiez au bord de la mer, sous un filao jouissant du meilleur moment de votre vie ». Pari tenu, à la fin en commentant son élection, ils lui déclarent : « There’s Sunshine on your plate ». Des mots qu’elle reprendra pour en faire le titre de son premier livre que les Mauriciens ont d’ailleurs pu découvrir au salon Confluences 2014. Un livre qui est principalement composé de recettes de son héritage culinaire.
L’écriture fait désormais partie de ses nombreux engagements. Elle écrit pour des magazines, sur son propre site web (shelinapermalloo.com) et depuis peu pour le Huffington Post. Elle participe également à des émissions de télévision et est devenue l’ambassadrice de plusieurs marques célèbres dont Billington (sucre) qui s’approvisionne à Maurice chez Alteo. Elle est d’ailleurs venue à Maurice pour une campagne de cette compagnie. La même année, elle travaille avec le groupe hôtelier Maradiva, « parce que c’est un groupe entièrement mauricien, sur un projet de formation culinaire », entre novembre 2012 et mars 2013. Des expériences qui consolident sa réputation d’ambassadrice de Maurice en Grande-Bretagne.
Fort de ses expériences, dont des stages dans plusieurs restaurants renommés comme ceux du chef Atul Kocchar, deux étoiles au Michelin, Shelina envisage d’ouvrir son propre restaurant qui offrira une cuisine mauricienne moderne. Une cuisine revisitée « avec un peu plus de souci d’équilibre de santé » et moins de fritures notamment. Mais ce ne sera pas du « fine dining », dont elle n’est pas très fan. Elle pense que le restaurant devrait marcher car en Angleterre « les gens sont plus ouverts aux autres cuisines ». Pas étonnant que le Chicken tikka en soit devenu le plat national.
Pour Shelina, les gens veulent goûter à des plats qui leur rappellent un moment dans le temps, « The Ratatouille moment » comme elle le qualifie. Un peu comme « la madeleine de Proust », la nostalgie et le souvenir de moments heureux…