Un Chef étoilé au St Régis Mauritius Resort.
Premier chef indien à recevoir une étoile du guide Michelin, Atul Kochhar s’est fait d’abord une réputation à Londres avant de prendre une dimension globale. A Maurice pour proposer une nouvelle carte au St Régis, il a donné une interview exclusive à Côte Nord. Il nous parle de l’évolution de la cuisine indienne et pourfend certains clichés associés à cette culture millénaire. Il nous fait part également de son admiration pour la gastronomie française et mauricienne.
Comment-vous est venue la passion de la cuisine ?
Il faut dire que j’ai baigné dans cette atmosphère depuis mon enfance passée à Jamshedpur dans l’est de l’Inde près de Calcutta. Mon grand-père était boulanger et mon père travaillait dans la restauration. Ce dernier fut un peu déçu au départ que je ne choisisse pas de devenir médecin ou avocat comme la majorité des jeunes Indiens qui en rêvent. Mais ensuite il m’a soutenu et m’a conseillé d’aller à Chennai pour mes études. Je m’inscris alors à l’académie de l’hôtel Oberoi d’où je découvre une autre Inde, une autre culture. Après avoir obtenu un Master en gestion hôtelière j’ai alors travaillé pour l’Oberoi pendant 5 ans avant de bouger pour Londres.
Et c’est là que décolle votre carrière…
A Londres, je constate que la nourriture indienne n’était pas très développée et j’y ai vu une opportunité de faire quelque chose. Très vite, je revisite la cuisine traditionnelle indienne pour la faire entrer dans la gastronomie britannique. Aujourd’hui,je pense que nous sommes dans une phase de transition pour la cuisine britannique qui est en train d’intégrer des cuisines venues d’autres pays. Je crois que cela se passe ainsi partout dans le monde. Le développement apporte la transformation des choses. Quand les conditions de vie s’améliorent, quand l’humanité se développe normalement on est à la recherche de l’excellence pour la mode, la qualité de la vie, la restauration, la musique.
Quel est votre plus grand plaisir quand vous cuisinez ?
A 14 ans, j’aimais prendre des épices et les faire sauter dans de l’huile. J’étais excité par les arômes qui s’en dégageaient. Aujourd’hui encore, j’ai la même excitation. A chaque fois que je créé une nouvelle saveur, c’est comme si j’avais un nouveau jouet. La nourriture est excitante pour moi, les épices sont mes couleurs et c’est comme ça que je fais ma peinture.
Comment réussissez-vous à inviter les Britanniques à la cuisine indienne, toujours perçue comme très épicée ?
Je pense que le mot épicé a toujours été mal interprété. Les plats sont sans nul doute épicés mais s’il s’agit d’épices qui aromatisent la nourriture ça va. Par contre s’il s’agit de « hot spicy », très pimenté, alors vous ne pouvez pas y prendre plaisir. Pour ma part, j’ai toujours été partisan d’une note très légère de piment. Celui-ci ne devrait pas brûler le palais.
Juste un soupçon…
Exactement. Si cela vous brûle le palais vous ne pouvez pas ressentir la cannelle, la cardamone l’anis ou autre. J’ai toujours privilégié une utilisation minimale du piment. Cela permet aux arômes de se dégager d’une façon plus subtile. En travaillant en Europe, j’ai pu trouver le bon accompagnement épice-aliment en retenant l’essentiel qui est qu’aucune épice ne devrait dominer l’aliment principal, que ce soit le poisson, la viande ou un légume.
Qu’avez-vous appris de la cuisine britannique traditionnellement perçue comme des plats bouillis sans saveur?
Ce temps- là est bien révolu. C’est une cuisine moderne et développée parce qu’elle a le potentiel d’embrasser d’autres cultures. La cuisine britannique n’est pas seulement la cuisine anglaise mais un mélange extraordinaire de cuisines mauricienne, française, indienne, chinoise, européenne, caribéenne, malaisienne. C’est un pays laïc qui accueille beaucoup de cultures qui se retrouvent naturellement dans la cuisine. J’ai vu cela en Inde à mesure que je grandissais car l’Inde est exactement pareil, un pays laïc avec des influences du monde entier.
Pour revenir à ce que j’ai appris, il y a la technique de la fermentation, du sel, l’ajout du vinaigre dans ma cuisine, la préservation des aliments, comment frire un poisson correctement. Des choses de base que j’ai adaptées à ma cuisine. Ce qui m’a aidé à élever la cuisine indienne à un autre niveau.
La cuisine est aussi synonyme de vins. Comment trouver le bon accord avec la cuisine indienne ?
Il est vrai que traditionnellement la cuisine indienne ne s’accompagne pas de vins. Mais en jetant un regard sur l’histoire de l’Inde il y toujours eu la présence de vins. Prenons la période moghole. La coupe de vin de Shah Jehan qui était en jade est aujourd’hui exposée au musée Victoria à Londres.
Donc s’il n’y avait pas de vin, d’où provenait cette coupe ?
C’est aussi vrai pour l’époque aryenne, avec le soma …
Exactement, le soma était du vin. Nous ne savons pas comment il était fabriqué mais il n’en reste pas moins du vin. Il est donc faux de dire que le vin n’était pas présent en Inde. Pour moi, la nourriture peut et devrait toujours être accompagnée d’un vin. Entre les éléments du vin et ceux de la cuisine indienne, il n’est pas difficile de trouver un accompagnement. Un bon sommelier doit pouvoir faire cela. De nos jours, que ce soit en France, en Italie ou en Espagne, les sommeliers apprennent les notes épicées. Il y a aussi un net mouvement vers la cuisine végétarienne.
S’agissant de ma propre expérience, je suis allé d’abord vers le Nouveau Monde parce que les vins d’Argentine, du Chili, de Nouvelle-Zélande, de Californie, accompagnent très bien les plats indiens. Mais avec le temps, le Bordeaux et le Bourgogne vont aussi devenir incontournables. Comme je l’ai dit au début, nous sommes dans une phase traditionnelle.
Que pensez-vous de l’avenir de la cuisine indienne ?
Je pense qu’elle va devenir de plus en plus globale. Quand la cuisine japonaise est sortie du Japon, il y quelques décennies, c’était dans l’ère du temps. Mais la cuisine indienne a dépassé les frontières indiennes depuis très longtemps avec les immigrants et la période de la colonisation britannique. Aux USA et en Grande-Bretagne, les gens ont toujours des feuilles de laurier et du poivre noir dans leur garde-manger qui ne sont pas plantés là-bas ? Donc, l’Inde est présente dans les cuisines du monde depuis longtemps. Les mêmes ingrédients sont utilisés depuis longtemps, seules diffèrent les méthodes d’utilisation. Quand les techniques vont se mélanger, cela va devenir une cuisine universelle.
Et votre opinion sur la gastronomie française ?
C’est une cuisine fantastique qui stupéfie les gens. Les Français se remettent tout le temps en question et reviennent avec des idées puissantes et continuent de se développer. Il y a beaucoup à apprendre d’eux. Je parlais de plats végétariens au début, et bien, les chefs français s’y mettent aujourd’hui. Nous devons revenir aux plats végétariens. Assez de viande. C’est bon certes, mais il faut reconnaître que le corps humain n’a pas été conçu pour digérer la viande. Nous l’avons inclue dans notre alimentation mais nous devons revenir aux légumes. La viande devrait devenir une garniture. C’est comme cela que je vois les choses et que mes camarades chefs les voient également.
Et quid de la cuisine mauricienne ?
Je l’adore. C’est un melting-pot. Je veux en faire partie. Je veux m’en imprégner. Il y a tant à apprendre dans ce pays. C’est une fraternité que j’adore. En termes de saveurs, vous êtes bluffant. Quand vous mangez mauricien, vous devez vous dire, « tient, ça vient de l’Afrique, ceci de l’Europe, là c’est l’Inde, ici la Chine. Un simple exemple, votre curry de poulet et crevettes, vous ne le trouverez nulle part au monde sauf chez vous. C’est stupéfiant et ça marche !