Sur les hauteurs de Maurice, un peu avant le réservoir de Mare aux Vacoas, en venant de Curepipe, une enseigne attire le regard. Takamaka ! Arbre indigène du pays, c’est le nom d’un établissement vinicole lancé par le couple Alexander et Isabelle Oxenham. Ouvert depuis fin 2017, c’est l’aboutissement d’un rêve de 18 ans. Au bout de ce long cheminement, sont nés les tout premiers vins 100 % mauriciens.
Fabriqués à partir des meilleurs litchis du verger de Saint Antoine, les différents crûs n’ont absolument rien à envier aux vins de raisins et une dégustation à l’aveugle ont bluffé plus d’un dont nous-mêmes. Visite guidée de ce « winery » appelé à faire la fierté du savoir-faire local.
Entre les Oxenham et le vin, c’est une longue histoire d’amour commencée au début des années 30 quand Edward Clark Oxenham trouve une formule pour fabriquer du vin à partir du raisin sec. La suite on la connaît. Les autres générations des Oxenham vont chacun apporter leur lot d’innovations. Alexander Oxenham, dont le père a longtemps travaillé pour l’entreprise lancée par son grand-père, n’a pas eu l’opportunité de le faire et s’est décidé à se lancer à son propre compte. Œnologue de formation, il a déjà marqué les esprits en créant, avec sa femme Isabelle, il y a trois ans, le site oenophilia.mu, qui donne des conseils sur les vins et l’accompagnement avec les plats. Mais les deux complices avaient un projet de plus grande envergure : faire le premier vin 100 % mauricien.
« J’ai toujours caressé l’ambition de faire un vin de terroir, un vin de qualité qu’aucun Mauricien n’aura honte de mettre sur sa table », avoue Alexander. Formé et formaté sur le raisin et la vigne, il a bien évidemment exploré la possibilité de cette culture à Maurice « Une idée absurde et stupide. Le problème c’est le climat. Il n’y a pas assez de froid qui permet un repos végétatif à la vigne. À Maurice, on aurait eu deux récoltes par an et la pérennité de la plante ne serait pas assurée car au bout de 10-15 ans, la plante serait épuisée. D’autre part, le fort taux d’humidité qui prévaut aurait apporté toutes les maladies cryptogamiques et la nécessité de traiter constamment avec des produits chimiques. Tout cela pour avoir un produit médiocre en essayant de copier. Moi je ne suis pas un copieur. » Le ton est donné.
100 % mauricien
Il faut travailler avec la nature, travailler avec ce que Maurice nous donne, martèle Alexander. Le choix qui s’imposait c’était le litchi, dont la saveur n’est pas loin du raisin muscat, qui est bien établi depuis des décennies et qui n’a pas besoin d’être traité. « Les autres fruits n’offrent pas la palette aromatique du litchi qui est semblable à celui du raisin avec les notes boisées, fruitées, caramel etc. ».
Pendant dix ans, il va travailler dans son laboratoire, installé dans le sous-sol de sa maison, puis faire le business plan, trouver les fonds. Une fois le site identifié, la construction du « winery » débute. Et c’est au bout de 18 ans que le projet aboutit, comme la lente maturation d’un bon cru. La fabrique s’installe à Plaine Bonnefin, Mare aux Vacoas.
Alexander va régulièrement voir les fruits au verger de Saint Antoine, teste et goûte pour connaître le taux de sucre et l’acidité. Une fois la récolte faite, les fruits sont congelés dans des bacs ajourés pour la circulation de l’air. « L’intérêt de la congélation est d’amener, grâce à la dilation des cellules d’eau, la déstructuration du produit. Ce qui facilite l’extraction de la saveur. Chose très difficile à avoir avec le fruit frais auquel il faudrait ajouter des enzymes », explique Alexander qui veut une production naturelle autant que faire se peut.
À 80 % le procédé est le même que celui du raisin, et les 20 % restants sont la part du mystère qui entoure toute production de vin, déclare Alexander avec un large sourire. Trois types de vin sont ainsi mis en bouteille directement : l’Aquarelle, l’Apéritif et l’Éclipse. Les deux premiers sont des vins très floraux avec une bonne fraîcheur, qui peuvent se boire en apéritif ou tout simplement pour le plaisir d’un vin léger. L’Éclipse est plus complexe. C’est un demi-sec qui va accompagner des plats épicés ou un foie gras admirablement. Il peut vieillir de cinq à huit ans dans de bonnes conditions.
Une deuxième partie de la production est mise en maturation dans des fûts de chêne.
Après la période d’élevage qui peut durer entre 9 mois et 2 ans, on va goûter et faire les assemblages. Pour Alexander, c’est la partie artistique de son travail, réalisée avec la complicité encore une fois de son épouse, Isabelle, qui est d’ailleurs peintre. « J’aime l’analogie avec la peinture ; le travail est exactement le même, les fûts, la palette de couleurs, et c’est là que je puise pour faire mon tableau ». Et cela ne s’arrête pas là, puisque chaque bouteille porte la signature d’Alexander et l’inscription Origine (Maurice), Originalité (le litchi) et Authenticité (découlant des deux premiers).
Une première cuvée devrait sortir des fûts d’ici la fin de l’année, et une deuxième l’année prochaine ; ce qui portera à cinq les différentes variétés produites par Takamaka. On pourra les trouver dans le circuit hôtelier et chez certains marchands de vin. Et si vous ne les trouvez pas, le mieux c’est aller à Takamaka où vous pourrez vous immerger dans ce monde fascinant et faire une intéressante dégustation. Nous vous le conseillons vivement.