Réélu à la présidence de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim), Jean-Louis Pismont est lucide sur les raisons qui expliquent le succès du tourisme mauricien. Néanmoins, il souligne, avec force, la fragilité et les menaces qui planent sur le secteur. Si Maurice bénéficie d’un climat sécuritaire solide, il faut néanmoins rester vigilant prévient-il. Jean-Louis Pismont exprime aussi son inquiétude sur des projets d’aquaculture qui, selon lui, pourraient menacer l’industrie touristique si les garanties ne sont pas là.
Après des années difficiles, les indicateurs du tourisme sont au aujourd’hui au vert. Comment expliquez-vous cela ?
Je crois que c’est une recette, pour utiliser une métaphore culinaire, où les ingrédients arrivent au bon moment, se mettent ensemble et créent une symbiose intéressante. On bénéficie de quelque chose dont on est particulièrement fier, c’est la dynamique de l’accès aérien, qui est assez exceptionnel. On s’est battu des années contre un monopole. On a réussi à augmenter le nombre de sièges mais aussi le load factor, c’est-à-dire les remplir. Tout le monde en a profité, les hôtels, les compagnies aériennes, les touristes et le pays bien évidemment avec les devises qui rentrent. Il faut aussi souligner que nous avons un climat sécuritaire qui joue en notre faveur. Nous bénéficions aussi de la garantie sécuritaire qu’apporte le rapport qualité/prix, la prestance. On retourne vers l’île Maurice pour des valeurs sûres. On a aussi bénéficié de la valeur du dollar par rapport à l’euro.
Ce qui fait que le secteur grandit plus vite que l’économie mauricienne dans son ensemble. Cela va permettre aux groupes hôteliers qui étaient très endettés après la crise de 2008 - et il ne faut pas l’oublier de se refaire une santé. Cela montre aussi la rapidité des choses dans notre industrie et il faut rester vigilant car cela peut dégringoler tout aussi rapidement. Mais l’assiette est très belle et cela devrait perdurer encore quelques années même si on ne fait pas de doubles chiffres chaque année.
On va profiter de cette embellie pour nous consolider car il y a beaucoup d’efforts à faire pour progresser encore.
« Il y a donc un challenge qui consiste à rendre notre métier attractif pas seulement d’un point de vue financier mais aussi d’un point de vue d’ascenseur social. »
Vous parlez de vigilance. Quelles sont les menaces qui sont toujours latentes ?
Il ne faut pas l’espérer bien sûr mais il est clair que la sécurité est la clé numéro un. On a vu comment tout le nord de l’Afrique a été déserté. La Turquie qui a des établissements exceptionnels a tout perdu en six mois. De ce fait, nous sommes à l’écoute de ce que les autorités nous conseillent en matière sécuritaire locale mais aussi internationale. Nous avons aussi, de notre côté, organisé, de façon discrète certes, des séminaires sur les sujets avec l’aide d’une ambassade.
Après, il y a la question du taux de change et de l’euro notamment, qui compte pour plus de 75% de notre business. Il y a aussi la livre sterling, certes avec un impact moindre mais non négligeable pour certains établissements plus dépendants de ce marché. Ce sont des facteurs externes que nous ne pouvant contrôler mais en explorant d’autres marchés comme l’Inde et la Chine, on arrive à mitiger les choses.
On a vu en basse saison des mariages indiens, des gros et des plus petits, qui sont assez impressionnants. Plusieurs groupes hôteliers en ont bénéficié. Tout cela pour dire qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ceci étant, l’Europe restera, en raison du fuseau horaire, en raison des vols directs, en raison des affinités historiques, culturelles, linguistiques, pour longtemps encore notre principal marché.
Il y a aussi des challenges internes qui sont des challenges humains. Il y a dans les grands groupes, des départs massifs à la retraite de personnels qui ont fait 30 à 40 ans de carrière. Je ne pense pas que la génération Y fera des temps de service aussi long. Il y a donc un challenge qui consiste à rendre notre métier attractif, pas seulement d’un point de vue financier mais aussi d’un point de vue d’ascenseur social. Je crois que nous avons le devoir en tant que professionnel de donner de l’appétence aux métiers de l’hôtellerie. La compétence on peut l’acquérir car on a de très bons professionnels mais l’appétence, cette envie de faire ce métier, c’est un vrai défi. Mais la récompense est phénoménale et on peut le dire, sans fausse modestie, on a fait grandir de belles familles dans ce métier.
Il faut aussi s’ajuster aux attentes du client, qui est beaucoup plus conscient de ce qui se passe à l’étranger, et du service pur. Avant on s’occupait du client à son arrivée et pendant son séjour. Aujourd’hui, avec l’informatique on doit le faire avant, pendant et après son séjour. Mais on sait bien faire cela, ce bonding avec le client, c’est ce qui fait aussi notre charme.
Cette force des Mauriciens fait qu’ils sont aussi très demandés ailleurs et leur départ fait bien souffrir l’industrie…
Je ne vous cache pas qu’effectivement les Mauriciens sont très recherchés. D’abord parce qu’ils parlent au moins deux langues et en les mettant dans une certaine discipline, ils deviennent des stars. Oui, c’est une menace mais cela ne date pas d’aujourd’hui. On forme beaucoup de personnes qui finalement vont travailler dans d’autres groupes à Maurice même parce que la mariée ne peut donner que ce qu’elle a. C’est vrai que les salaires sur les paquebots sont plus attractifs mais ce n’est pas le même job, les heures de travail ne sont pas les mêmes et les conditions ne sont pas pareilles. Et souvent, ces personnes reviennent avec un nouvel état d’esprit et on les reprend car ils apportent autre chose.
Par contre, la génération Y veut être manager demain. Et quelque part les autorités encouragent cela. On nous annonce, à travers l’École hôtelière et polytechnique, la formation de 200 managers par an. Mais l’industrie n’a pas besoin de 200 managers par an. Il nous en faut 20-25, pas plus.
Lors de l’assemblée générale de l’Ahrim vous avez soulevé des préoccupations par rapport à un projet d’aquaculture et de hub pétrolier dans l’Ouest. Comment menacent-ils le tourisme ?
D’abord, ils sont arrivés comme un cheveu sur la soupe. Il faut avouer qu’aujourd’hui aucune étude scientifique ne prouve que l’aquaculture attire les requins. En fait, on ne sait pas quoi, comment, pourquoi et dans ce cas on se pose d’autres questions. Est-ce que c’est rentable ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres solutions comme le barachois ou d’autres petites entreprises qui pourraient aussi donner du qualitatif aux hôtels.
La ferme de Mahébourg (Pte aux feuilles) a eu trois propriétaires depuis son lancement. Si c’était hyperrentable, elle n’aurait pas changé de propriétaire si souvent. Quand on ne sait pas, il faut faire de la préséance. On nous dit qu’on va créer 500 jobs alors que l’industrie touristique en crée 900 par an. Au-delà des batailles écologiques, qui sont des questions d’experts, qui vont se faire beaucoup d’argent là-dessus, est-ce que cela en vaut la peine ? Nous, nous répétons que le principe de précaution doit prévaloir. Est-ce ici dans l’Ouest qu’il faut le faire ? Nos voisins à 250 km ont connu une chute de 60% des arrivées en raison des attaques de requin.
Maintenant on nous parle de l’économie bleue mais le territoire de Maurice est énorme. Faut-il les mettre là ? Devant nos hôtels ou à 25 ou 30 km où elles (les fermes) seront plus chères à gérer ? Le tourisme a contribué à donner une belle image de la destination depuis 50 ans. L’aquaculture va-t-elle y participer ? Nous souhaitons en discuter.
« Projet d’aquaculture : nous répétons que le principe de précaution doit prévaloir. »
Puisque que vous êtes ouvert à la discussion, comment jugezvous l’idée des Assises du Tourisme ?
À titre personnel, j’étais en voyage à ce moment-là mais l’Ahrim était bien présente. Je crois que c’était bien organisé et de bonne facture même si c’est un exercice difficile. Il faut le reprendre calmement, avec des thèmes précis parce que ce n’est pas en un jour que l’on va décider pour les 10 prochaines années. Nous sommes confiants parce que le ministre du Tourisme est très ouvert et disponible et les autorités également.