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Hôtellerie mauricienne - Une architecture partagée entre tradition tropicale et design contemporain

Le parc hôtelier mauricien s’est considérablement agrandi au fil des ans pour atteindre 116 établissements en 2016. Si l’on peut raisonnablement dire que l’hospitalité mauricienne se retrouve dans presque toutes les enseignes, l’architecture des hôtels quant à elle, diffère d’un établissement à l’autre. Des traditionnels bungalows des années soixante-dix, nous sommes passés à des structures plus grandes avec des influences diverses. Deux tendances s’affrontent : la première qui se réclame d’une tradition tropicale et la deuxième qui opte pour un look plus contemporain. Faut-il privilégier l’une ou l’autre ? Quels sont les critères qui entrent en jeu dans la conception d’un resort ? Nous avons fait un petit tour d’horizon.

Maurice étant une île de plages et de lagons, l’hôtellerie mauricienne est presque exclusivement composée de resorts et d’hôtels de bord de mer. À ce titre, nous nous devons d’avoir une architecture de tradition tropicale, soutient Jean Marc Eynaud, architecte de renom, qui a signé de grands hôtels comme le Prince Maurice, Heritage Awali ou plus récemment le Zilwa. « Un resort hôtel doit être le reflet de la culture et l’architecture d’un pays. Dans l’océan Indien,les îles ont un héritage culturel français et britannique qui se démontre dans les maisons créoles avec des caractéristiques typiques et des détails qui peuvent être utilisés pour mettre en avant l’identité du pays ».

Des critères qui ont été plutôt respectés dans le passé, explique Andrew Slome, directeur de l’hôtel La Pirogue et témoin privilégié du développement hôtelier depuis 1978. « D’un point de vue architectural et de la nature, nous avons respecté la réglementation s’agissant notamment de la hauteur des bâtiments près du littoral,contrairement à d’autres destinations touristiques, comme Hawaï qui construisent des gratte-ciel sur le front de mer. À Maurice c’est rez-de-chaussée plus deux (autrefois on disait pas plus haut que les cocotiers) ».

Il ajoute qu’un grand nombre d’hôtels a été dessiné par Maurice (Mico) Giraud, le plus iconique étant sans doute le Touessrok (aujourd’hui Shangri-La’s Le Touessrok), récemment rénové sans toucher à l’architecture. « Un modèle copié par plusieurs hôtels par la suite », fait-il remarquer.

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Le Long Beach Resort and Spa offre un design contemporain inédit dans l’hôtellerie mauricienne

Attente des voyageurs

Quels sont les critères qui entrent en ligne quand il s’agit de dessiner un hôtel ? « Nous devons avant tout identifier les attentes des voyageurs qui sont de deux types : celui bien éduqué qui a l’expérience du voyage, avec des attentes en découlant, et le voyageur du millénaire (millenial) qui se situe entre 18 et 34 ans en 2015 et qui constituera la majorité des voyageurs bientôt », répond Jean Marc Eynaud.

Ces attentes peuvent être regroupées en quatre entités qui constituent les fondations du futur hôtel : écologie, durabilité, technologie et design. Ces impératifs devraient inclure également le « sense of place » (que l’on peut traduire comme l’esprit du lieu, l’âme), l’expérience (dépaysement, changement de décor et d’orientation) l’esthétique (intemporalité [timelessness], tendance, thématique), la fonctionnalité, le confort, l’intimité, le sentiment d’être arrivé au bon lieu (sense of arrival), l’interaction avec le paysage, le budget et le spa.

Studio Ltd, les préoccupations semblent différentes. « Les projets typiques que l’on a connus coûtent très cher. Difficile pour les nouveaux architectes mauriciens d’entrer dans ce créneau. À l’Architects Studio, nous avons travaillé sur de nouveaux projets sur le littoral », déclare Pierre Yves Serret.

Il estime que les hôteliers mauriciens ont de la difficulté pour monter des hôtels car le coût des murs devient exorbitant. Selon lui l’avenir de l’hôtellerie c’est Airbnb. « Ils ont déjà un pool d’environ 1 million de chambres dans le monde et ambitionnent d’arriver jusqu’à 3 millions dans quelques années », assure-t-il. L’Architects Studio a déjà dessiné plus de 750 chambres dans différents projets immobiliers qui ont pour finalité d’intégrer le réseau Airbnb. « C’est une hôtellerie qui n’a pas pignon sur rue et que personne ne soupçonne ». Son partenaire, Didier Dove abonde dans ce sens car « les nouveaux voyageurs, les millenials, recherchent ce genre d’expérience et ne veulent plus aller dans les hôtels. Ils recherchent la liberté. Le touriste de demain veut découvrir, voir le vrai qui se situe dans la ville, les villages, pas dans les murs des hôtels. »

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Le Shanti Maurice, exemple de tradition tropicale avec toit en chaume et grands surplombs

Identité culturelle tropicale

Le studio travaille avec un développeur qui suit une demande d’appartements pieds dans l’eau pour des propriétaires individuels mais qui, dans une offre combinée, forme des appart’hotels. Selon les deux architectes, les développeurs font des recherches pour s’enquérir de la demande de la clientèle internationale.

« Ce sont les propriétaires d’appartements qui paient d’où la nécessité de faire une architecture extrêmement lisible de style très contemporain, économique qui permet au développeur de faire des profits. Le produit doit être suffisamment plaisant pour venir sur l’offre internationale. Ce ne sera pas l’hôtel comme on le conçoit,avec de belles toitures, de beaux coups de crayon mais des appartements bien placés, sur la mer, avec du caractère. Notre « business model » est le suivant : un mélange de design, de superficie, des détails de construction, une optimisation du site tout en dégageant un ensemble homogène. Nous devons respecter l’impératif budgétaire et l’aspect fonctionnel », explique Pierre Yves Serret.

Pour Jean Marc Eynaud, le point de vue est tout autre. Il estime qu’il y a deux types d’architecture qui doivent refléter une identité culturelle tropicale. Il y a d’abord l’architecture d’héritage qui, dans sa forme originale, devrait inclure l’utilisation extensive de toit en bardeaux, de murs recouverts de bois, des ouvertures avec des persiennes en bois, des sols naturels en pierre et des décorations en bois. Aujourd’hui, le toit en bardeaux et les murs recouverts de bois, ont été remplacés par de la tôle et des parpaings de basalte respectivement pour des raisons budgétaires, fait remarquer l’architecte.

Le deuxième type est de tradition tropicale et peut se voir dans les îles tropicales à travers le monde. « C’est une architecture qui est née des contraintes climatiques et qui utilise les matériaux locaux comme le chaume et le bois pour les toits avec de grands surplombs (overhangs), des murs en pierres locales et des sols en bois ou en pierre taillées ».

Andrew Slome fait remarquer que Maurice n’a pas une architecture qui lui est propre. Il déclare que dans le groupe Sun, l’apport des architectes étrangers a été important. « Le Sugar Beach a ainsi été conçu par une compagnie américaine d’Orlando en Floride qui avait une grande expérience de ce genre de construction sur le style des plantations. Ils ont donné le concept, et le reste du travail a été réalisé par des architectes mauriciens ».

Il en est de même pour le groupe Constance qui a notamment fait appel à Colin Okashimo, Canadien établi à Singapour, « qui aura donné sa première âme à Constance ». « Humilité et luxuriance entre ciel et océan ». Jean-Marc Eynaud y a ensuite apporté sa signature.

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Le charme de l’hôtel La Pirogue réside dans des extérieurs non-crépis mettant en évidence la roche volcanique

« Sense of place »

Le directeur de La Pirogue note toutefois que Maurice possède des matériaux comme la roche volcanique, le corail, les bois locaux et la paille de canne. « Le charme de l’hôtel La Pirogue est que l’extérieur n’a pas été crépi et les formes des roches volcaniques ont été préservées, même si elles ont été peintes. Ce n’est certes pas un design fonctionnel et il n’y a pas d’optimisation d’espace mais la hauteur et le toit de chaume donnent une impression d’espace. Une légende s’est construite à partir de la forme inhabituelle (qui n’est pas celle d’une pirogue retournée comme on le croit) et des images circulées ».

Le toit iconique des bungalows de l’hôtel La Pirogue démontre l’importance de cette structure et Jean Marc Eynaud y souscrit largement car pour lui,« le choix du toit est primordial ». « Il doit être simple et cohérent, c’est l’ultime sophistication », rappelle-t-il, citant Leonard de Vinci. Il explique qu’il commence toujours son plan en dessinant le toit. « Une combinaison de toits plats et inclinés peut être efficace pour donner un look contemporain sans détruire l’identité ».

Peut-être serait-on tenté de faire un parallèle avec la tête d’une personne. C’est la première chose que l’on voit d’elle et que l’on garde sans doute en mémoire. Ce toit mais aussi le lieu de l’accueil participent à donner ce « sense of place » (son dada depuis des années, répète-t-il) créant ainsi le dépaysement si nécessaire à un hôtel. « C’est une expérience à laquelle les voyageurs s’attendent dans les pays tropicaux. Des vacances tropicales doivent être un voyage culturel dans un nouvel environnement pour le touriste », rappelle-t-il.

A l’Architects Studio, on pense plutôt que ce dépaysement doit se faire en dehors des murs de l’hôtel. « Il faut arrêter avec les pastiches et plutôt proposer au client d’aller vers le marché de Port-Louis, vers China Town, vers l’habitant ; c’est à ce prix que les hôteliers pourront se battre contre le Airbnb », martèle Pierre Yves Serret. « Le challenge des hôteliers est celui de se réinventer par rapport à ces nouvelles demandes et d’innover », ajoute Didier Dove.

« C’est là qu’il faut venir avec un projet d’aménagement du territoire. L’hôtellerie ne peut se concevoir sans cela », s’écrie Pierre Yves. Sur ce point, Jean Marc Eynaud semble être d’accord mais pas dans la même perspective. Lui souhaiterait que les autorités incluent les critères esthétiques dans la réglementation. Un plan d’aménagement du territoire devrait légiférer sur une architecture qui reflète l’identité du pays.

« Nous devons éviter à tout prix de faire des hôtels avec l’architecture typique d’un autre pays ; cela peut tuer l’identité et rendre le lieu très impersonnel. Cela devrait être le devoir des architectes et des promoteurs mais surtout des autorités d’empêcher cela. Malheureusement les critères esthétiques ne font pas partie des critères nécessaires pour un permis de construire. Ce qui est regrettable », déplore-t-il.

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Le design du Long Beach plaît à la clientèle des « Millenials »

Décoration intérieure

« Ne mettons pas le bling bling pour soi-disant satisfaire les nouveaux voyageurs, donnons leur plutôt de nouveaux concepts dans les restaurants, de nouvelles attractions… L’identité d’une destination ne doit pas être détruite pour des gains immédiats ; il faut éduquer ces voyageurs à l’identité du pays », continue Jean Marc Eynaud.

Il est d’avis qu’il y a des moyens de moderniser certains éléments de l’architecture pour enlever le sentiment du déjà-vu et ajouter une ambiance plus contemporaine, par exemple une plus large utilisation des surfaces vitrées dans les ouvertures. Il suggère aussi l’introduction d’un côté romantique via la position du lit et de la vue ; une douche extérieure sous les étoiles ; un dîner dans un environnement avec des arbres, des éléments aquatiques. « L’eau doit être un élément intégral du bâtiment qui apporte la fraîcheur et la note tropicale ». Toutefois, il ajoute que les tendances doivent plutôt se refléter dans la décoration plutôt que dans l’architecture. « La décoration intérieure doit être au goût du jour ».

Quant à la technologie, Jean Marc Eynaud pense que certains groupes ont décidé de miser dessus mais pas dans les resorts. « De grands groupes comme Mariott, Hilton ou Hyatt développent des MoxyHotels pour attirer les Millenials mais ce sont surtout les hôtels de ville qui offrent par exemple des lounges hi-tech ». La technologie peut influencer l’architecture des resorts différemment. Il prévoit ainsi la disparition à terme, des halls de réception mis à part dans les hôtels 5 étoiles, le check-in se faisant dorenavant par le smartphone. Et l’hôtelier dans tout ça ? Andrew Slome répond que c’est d’abord des sites extraordinaires et un environnement hors du commun que recherchent les groupes, du moins s’agissant de Sun Resorts. « Aujourd’hui, il faut certainement être à l’écoute des tendances, de la demande, des considérations environnementales et économiques. Le groupe préfère une variété de concepts, un portfolio large. Il n’y a pas deux hôtels pareils et chaque expérience est différente ». ◆

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