Durant les guerres napoléoniennes, les batailles navales entre navires anglais et francais étaient monnaie courante dans l'océan Indien. Quelques-uns de ces vaisseaux de guerre se distinguèrent lors des combats, mais nul ne fut plus redouté que la terrible Preneuse, frégate commandée par un marin d’exception: Jean-Marthe-Adrien Lhermitte, dit “Le Brave”.
La Preneuse est un nom familier pour bon nombre de Mauriciens. Il évoque une belle plage de Rivière-Noire et la tour Martello construite par les Anglais à cet endroit. Cependant, peu connaissent l’origine de ce nom, et c’est bien dommage car il s’agit d’une histoire incroyable.
Une histoire de vieux loups de mer, faite de combats épiques, de fracas, de tempêtes ravageuses, de terribles coups de canons et d‘abordages sans pitié. La Preneuse fut en effet l’un des navires de guerre français les plus redoutables de l'époque, et sans doute aussi de tous les temps. A une époque où la marine anglaise dominait les sept mers, le vaisseau francais fit de véritables carnages dans les rangs des tuniques rouges.
La Preneuse, en tant que navire de guerre, n’avait pourtant rien d’exceptionnel. Il s’agissait d’une frégate lourde qui n’avait aucune chance à la course contre les rapides vaisseaux anglais. Pourtant, sous le commandement d’un homme au caractère bien trempé, Jean-Marthe-Adrien Lhermitte, La Preneuse deviendra synonyme de cauchemar pour les Anglais.
Fils d’un conseiller royal, Lhermitte né à Coutances, sur les côtes du Cotentin, en 1766. Très jeune, il ressent l’appel de la mer et s’embarque comme moussaillon de marine à l'âge de quatorze ans. Sa première mission est de surveiller les côtes à bord d’un cotre de la garde côtière. Il participe rapidement à son premier abordage contre un corsaire anglais dans la Manche, événement annonciateur d’un avenir martial et victorieux.
Discipliné, rigoureux, le jeune mousse gravit rapidement les échelons. Durant la guerre d'indépendance des Etats-Unis, il participe à la bataille cruciale de Chesapeake, qui fut avec celle de Vieux-Grand-Port la seule défaite de la marine anglaise au cours des 18e et 19e siècles. Après un intermède de quelques années au cours duquel il devient marin-pêcheur, le jeune officier reprend du service en 1787. Promu commandant de frégate, il se distingue dans la Manche et autour des îles britanniques pour sa bravoure, son intelligence et un nombre stupéfiant de prises de navires ennemis.
Durant l’un des nombreux épisodes épiques de son odyssée, Lhermitte réussit l’exploit de remorquer en France trois vaisseaux anglais depuis la Norvège, malgré une terrible tempête et la perte d’une frégate durant l'opération. Auréolé par une gloire naissante, le jeune officier reçoit probablement à cette époque son sobriquet amplement mérité: Le Brave.
En 1796, il met le cap vers la mer des Indes et participe à plusieurs combats sous les ordres de l’amiral Sercey. Deux ans plus tard, il reçoit le commandement de La Preneuse. Sa mission est d’oeuvrer en solitaire, à la manière d’un corsaire, en assaillant les navires anglais qu’il croise sur son passage. Lors d’une campagne de trois mois en mer de Chine, La Preneuse coule une quarantaine de navires anglais avant de remettre le cap vers l’Isle de France (Maurice).
Accompagnée par la corvette le Brûle-Gueule, La Preneuse doit d’abord forcer le blocus anglais avant de rentrer à Port-Louis. La tâche est rude: dès l’ile en vue, les deux bateaux francais sont pris en chasse par cinq bâtiments anglais. La Preneuse et le Brûle-Gueule se réfugient dans la baie de Rivière-Noire, où les Francais résistent durant trois semaines aux assauts des Anglais, sans doute très motivés par la perspective de prendre un bateau qui a fait tant de dégâts dans leurs rangs. Pendant la bataille, Lhermitte a l’excellente idée de faire débarquer les canons inutiles pour en faire une batterie terrestre, manoeuvre salutaire pour les marins francais. La plage sur laquelle furent débarquées les pièces d’artillerie de La Preneuse en porte aujourd’hui le nom.
En 1799, en plein milieu d’une violente tempête au large du cap de Bonne Espérance, La Preneuse tombe nez à nez avec un adversaire mieux armé et beaucoup plus rapide: le Jupiter. Lhermitte tente d’abord de fuir un combat qu’il pense perdu d’avance, mais La Preneuse ne parvient pas à distancer le vif bâtiment d’Albion. Après une poursuite de 22 heures, le commandant ordonne de faire volte-face et de se préparer au combat.
Grâce à d’habiles manœuvres, La Preneuse parvient à infliger des dégâts très importants à son adversaire, pourtant beaucoup plus fort. Les Francais tentent l’abordage, mais le Jupiter, toutes voiles dehors, prend la fuite. Cette bataille est restée célèbre dans les annales de la marine française, et Lhermitte est souvent cité en exemple pour son intelligence tactique et la bravoure dont il a fait preuve lors du combat.
Malheureusement pour la marine française, il s’agira du dernier exploit guerrier de La Preneuse. Une nouvelle fois pris en chasse à son arrivée à l’Isle de France, le vaisseau met le cap vers le Nord pour distancer les deux navires ennemis. Cependant, des rafales violentes drossent le bateau sur les récifs à hauteur de Baie-du-Tombeau. Immobilisés, pris en tenaille par les Anglais, les Francais n’ont aucune chance.
Lhermitte et son équipage opposent cependant une furieuse résistance. Après quelques heures de combat acharné à bout portant, Lhermitte réalise son impuissance face à l'inéluctable, et ordonne finalement aux hommes valides d’emmener les blessés à terre. Il reste seul à bord en compagnie de ses officiers et de quelques fidèles. Son dernier acte est d’ordonner le sabordage du navire pour qu’il ne tombe pas entre les mains de l’ennemi. Lhermitte se rend aux Anglais, qui le traitent avec tous les honneurs dus à son rang et à ses exploits guerriers.
Après négociation avec le gouverneur de l'île, les Anglais consentent à libérer les officiers prisonniers quelques jours plus tard. Lhermitte, blessé durant le combat, est accueilli avec une liesse indescriptible par les colons français. Le glorieux commandant est porté en triomphe sur un brancard de lauriers, tandis que l’on fait sonner quinze coups de canon dans la rade en l’honneur du héros.
Rentré en France en 1801, Lhermitte poursuit sa carrière durant l’Empire en tant que commandant de division. A la tête d’une flottille de plusieurs navires, il part en chasse dans les Antilles et inflige de nouveau d’importants dégâts aux Anglais. Bilan: 26 navires pris, ce qui causa à la couronne britannique une perte d’environ 10 millions de livres.
A son retour en France en 1807, Lhermitte est proclamé contre-amiral et baron de l’Empire par Napoléon en personne. Il prend sa retraite en 1816 avec le titre honorifique de vice-amiral, et s'éteint près de Paris dix ans plus tard.
Jean Lhermitte était un marin exceptionnel au caractère intransigeant. Lors d’un fameux épisode de son odyssée à bord de La Preneuse, il mata un début de mutinerie en se jetant sur les dissidents sabre au poing. Ses dernieres annees ont ete marquee par des crises causées par une maladie attrapée dans les îles. Son nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe.