Il y a 400 ans périssait au large de l’île Maurice Pieter Both, premier gouverneur général des Indes hollandaises. En 1979, une expédition archéologique permit de retrouver les restes de l’épave du Banda, navire où se trouvait le gouverneur au moment du naufrage. Ainsi qu’un inestimable trésor en céramique…
6 mars 1615. La flottille hollandaise devant ramener au pays Pieter Both, premier gouverneur général de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales (Vereenigde Oost-Indische Compagnie, VOC) est arrivée à « Mauritius » quelques jours plus tôt. L’île était alors encore inoccupée, mais servait de point de ravitaillement sur la route des Indes.
Deux des navires de la flotte, le Banda et le Provinces Unies, sont au mouillage dans la baie de Port-Louis, tandis que les deux autres, le Gelderland et le Delft, restent au large. Pieter Both voyageait à bord du Deflt, mais un début de mutinerie au sein de l’équipage l’obligea à se rendre à bord du Banda, ce qui causera sa perte. Ce 6 mars fatidique, l’île est en effet balayée par la fureur d’un cyclone dévastateur.
Les rafales ne tardent pas à arracher les ancrages du Banda et du Provinces Unies, projetant les deux vaisseaux au large. Après le passage de l’œil du cyclone, le vent change de direction et ramène les bateaux avec une force inouïe vers la côte. Le Banda et le Provinces Unies, déchiquetés par la violence de la tempête et les houles monstrueuses, sont envoyés par le fond entre Albion et Tamarin, avec la majeure partie des équipages et leur précieuse cargaison. Le Gelderland, qui a subi d’énormes avaries, est volontairement échoué à proximité de Vieux-Grand-Port. Seul le Delft s’en sort indemne.
Avance rapide de quelques siècles : en 1979, l’historien français Patrick Lizé découvre une carte secrète Hollandaise datant de 1670 dans les archives nationales de Paris qui donne les points approximatifs du naufrage du Banda et du Provinces Unies. « Il était commun à cette époque de répertorier les lieux de naufrage, pour que les cargaisons soit récupérées plus tard. Les marchandises, surtout les épices et les porcelaines, avaient une très grande valeur, ainsi que les canons », explique Yann von Arnim, archéologue sous-marin.
Patrick Lizé décide de monter une expédition avec l’aide de Jacques Dumas, président de la Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques (CMAS). Les deux hommes se rendent à Maurice pour localiser les épaves. Apres avoir sillonné en vain les récifs de Flic-en-Flac, où coula le Banda selon la carte hollandaise, ils reçoivent l’aide inespérée de Pierre de Sornay, président du Mauritius Underwater Group (MUG). Celui-ci leur explique que des canons ont été vus plus au Nord, face à l’embouchure de la Rivière Dragon, à Medine.
Rapidement, l’épave est localisée au pied des falaises, et Jacques Dumas obtient l’autorisation du gouvernement mauricien d’y faire des fouilles. Selon les règlements d’exploitation de l’époque, la moitié des objets remontés revient au découvreur et l’autre, ainsi que les pièces uniques, aux autorités. Jacques Dumas monte une équipe d’investisseurs et de plongeurs franco-mauricienne, et le travail commence peu après.
Les fouilles consisteront à marquer et désensabler la zone, mais aussi à enlever d’énormes rochers qui gênaient les recherches. Très vite, les chercheurs découvrent et remontent canons, balles de mousquets et objets divers. Mais la découverte la plus incroyable se trouve sous les rochers et les canons : il s’agit de porcelaines Ming intactes d’une valeur historique inestimable.
« On appelle ces céramiques ‘Kraak’, nom qui vient des bateaux portugais ‘carracks’, qui importèrent les premières porcelaines chinoises en Europe. Il faut savoir que les Chinois ont découvert l’art de la fabrication de la porcelaine longtemps avant les Européens. Ces pièces très précieuses, toutes peintes à la main, étaient très recherchées. La porcelaine était beaucoup plus solide et durable que la faïence européenne. La preuve, les pièces intactes remontées en 1979 semblaient avoir été fabriquées la veille », affirme Yann von Arnim, qui participa aux fouilles.
Au total, une centaine de porcelaines intactes seront découvertes sur le site du naufrage. Il s’agit d’assiettes, de pots, de bouteilles mais aussi de petits verres d’alcool de riz « aussi fins qu’une coquille d’œuf », précise notre interlocuteur. Aujourd’hui, la majorité des porcelaines se trouvent à Maurice, dont 45 pièces au Musée de Mahébourg, 10 au Blue Penny Museum, et 2 qui ont été remises à la famille de Pierre de Sornay. Un astrolabe unique, instrument de navigation de l’époque, a aussi été remis aux autorités mauriciennes. Le Mauritius Museum Council a entamé des recherches afin de répertorier tous les objets remontés des restes Banda. L’objectif est de produire un catalogue de tous les artefacts de l’épave.
En 1990, une autre expédition menée par l’archéologue sous-marin Eric Surcouf permit la découverte de l’épave du Province Unies à Albion. De nombreuses pièces de valeur furent remontées, mais aucune porcelaine intacte n’y a été trouvée. L’épave du Gelderland n’a pour le moment pas encore été découverte, malgré plusieurs campagnes de recherche. Ces épaves sont jusqu’ici les plus anciennes traces de présence humaine à Maurice.
Note de la rédaction : un grand merci à Yann von Arnim pour son aide précieuse, sans laquelle la réalisation de cet article n’aurait pas été possible.
Photo (en haut): Découverte des premières porcelaines sur l’épave du Banda, en 1979. (Photo : Jacques Dumas/Yves Halbwachs)