Le passage du cyclone Hollanda, en février 1994, plongea Maurice dans le chaos. Pendant les jours qui suivirent, d’étranges rumeurs circulèrent sur un homme-bête au corps enduit d’huile qui s’introduisait dans les maisons et terrorisait les jeunes filles…

Cela paraît incroyable, mais il y a à peine plus de 20 ans, toute l’île Maurice fut terrorisée par une légende semblant venir du fond des âges… Nous sommes en février 1994, juste après le passage d’Hollanda, l’un des derniers grands cyclones qui frappèrent l’île. La plupart des maisons qui tiennent encore debout sont plongées dans le noir, les fils électriques ayant été arrachés par la fureur de la tempête.

Tout commença au petit village de Lallmatie, non loin de Flacq. Quelques habitants apeurés rapportent avoir été victimes d’un être surnaturel, capable de se transformer en loup, en chien, en chat, en singe ou en chauve-souris. Ils précisent que sous sa forme humaine, son corps nu est enduit d’huile, ce qui rend sa capture impossible. Propagée par les médias et les racontars, la rumeur enfle, et toute l’île ne tarde pas à être plongée dans la terreur.

On raconte que le monstre, rapidement surnommé Touni Minuit à cause de sa nudité et de son habitude de frapper le soir, profite de l’obscurité pour se faufiler dans les maisons et abuser des jeunes filles. Durant plus d’une semaine, chaque nouvelle nuit apporte de l’eau au moulin de la légende. Les témoignages affluent : Touni Minuit a été vu ici, se cacherait là, aurait échappé à ses poursuivants de telle ou telle manière… On parle de traces de morsures, des femmes exhibent des suçons dans leur cou en clamant qu’il s’agit de l’œuvre de la bête…

Rodrigues a également eu droit à son Touni Minuit, mais celui-ci semblait inoffensif. Plusieurs habitants ont en effet raconté avoir surpris au beau milieu de la nuit un homme tout nu dans leur cuisine en train de s’empiffrer. Dès qu’il était découvert, il disparaissait sans laisser de traces…

Dans les villages de Maurice, des milices se forment. Armés de sabres et de gourdins, les villageois sillonnent les rues la nuit en quête de l’homme-bête. Des chats et des chiens errants sont abattus. Face à la terreur généralisée de la population, les autorités n’ont d’autres choix que de réagir. La police ouvre une enquête, les gouvernants appellent au calme. Après plus d’un mois de psychose, Touni Minuit disparaît aussi vite qu’il n’est apparu, et la vie reprend son cours normal.

Vidéo: L’histoire de Touni Minuit a inspiré au ségatier Claudio Veeraragoo une chanson sympathique.

Pourtant, sporadiquement, des histoires semblables réapparaissent dans les médias de l’île. Fantômes, loup-garous, sorciers et Touni Minuit hantent encore l’imaginaire collectif. Et, coïncidence ou pas, c’est souvent dans le petit village de Lallmatie que naît la rumeur… Mais pas uniquement. En 2013, par exemple, les villageois de Vallée-Pitot furent terrorisés par un « loup-garou » (ou « bolom loulou ») qui aurait espionné des femmes lorsqu’elles prenaient leur douche. Il s’agissait en fait d’un homme qui se refugiait sous un pont pour y regarder des vidéos pornographiques. Le « bolom loulou » fut rapidement appréhendé par la police.

Le plus étrange est que l’histoire de Touni Minuit a un fond de vérité. Avant l’Indépendance de Maurice, lorsque les îles Chagos y étaient encore rattachées et qu’on y exploitait le coprah, des hommes nus enduits d’huile de coco se rendaient parfois dans les magasins la nuit pour y voler de l’argent ou de la nourriture…

Mais, fond de vérité ou pas, beaucoup sont encore dubitatifs devant le fait que dans un passé aussi proche, une histoire aussi rocambolesque ait pu causer une telle hystérie collective. Certains expliquent que la légende a été nourrie par la fragilité émotionnelle des Mauriciens après le passage d’un cyclone aussi dévastateur, d’autres par le manque d’éducation dans certaines régions rurales isolées. Cependant, une chose est certaine : on entendra encore longtemps parler du légendaire Touni Minuit…