La bataille navale de Grand-Port fut la plus grande victoire de la marine française contre les Anglais durant les guerres napoléoniennes. Pourtant, l’issue de ce combat titanesque précipita la prise de l’Isle de France par les Britanniques. Voici comment.
Nous sommes en 1810, et l’océan Indien est le théâtre d’une guerre totale entre navires britanniques et français. Les Anglais ont capturé l’Ile Bonaparte (La Réunion) en juillet, et s’en servent de base pour lancer leurs opérations militaires dans les eaux environnantes. Le principal objectif de la flotte d’Albion est évidemment la prise de possession de l’Isle de France (Maurice), point stratégique important sur la route des Indes, mais surtout le repaire de corsaires français qui harcèlent sans discontinuer les navires marchands anglais. Les navires croisant dans la région changent de camp au gré des batailles, et il n’est pas rare de voir des bateaux aux noms anglais dans les rangs français, et vice-versa.
Début août, le capitaine anglais Samuel Pym est envoyé vers l’Isle de France à la tête d’une escadre de trois frégates lourdement armées : Le HMS Sirius (36 canons), le HMS Iphigenia (36 canons), et le HMS Nereide (32 canons). L’objectif est d’imposer un blocus de l’île, mais aussi de capturer l’île de la Passe, position stratégique permettant de contrôler la passe de Grand-Port, au Sud-Est de l’Isle de France. Le lagon de Grand-Port étant truffé de hauts fonds et de récifs, les Anglais prennent à leur bord un pilote local, un certain John Johnson, qui aura pour tâche de guider les navires anglais dans ces eaux dangereuses.
Après une première tentative infructueuse le 10 août, les Anglais parviennent à débarquer sur l’île de la Passe durant la nuit du 13 août. Suite à une furieuse bataille, ils prirent possession du fort, des canons et des codes secrets qui permettaient aux soldats français de communiquer avec leurs navires. Laissant le HMS Nereide sur place, le HMS Sirius et le HMS Iphigenia se dirigent vers Port Napoléon (Port-Louis) pour harceler les bateaux français. Laissé seul, le capitaine Nesbit Willoughby, commandant de bord du Nereide, lance une série de raids sur la côte sud de l’île, détruisant notamment un fort à la Pointe du Diable.
Une semaine plus tard, le 20 août, une escadre française composée des frégates la Bellone (40 canons) et la Minerve (48 canons), de la corvette le Victor (18 canons) et des Indiamen (navires marchands armées de la Compagnie anglaise des Indes orientales) Ceylan et Windham (26 canons chacun), arrive au large de Grand-Port en revenant des Comores. Le commandant de l’escadre, le capitaine Guy-Victor Duperré, ne sait pas que l’île de la Passe est contrôlée par les Anglais.
Voyant là une belle occasion d’infliger d’importants dégâts à la flotte française, Willoughby décide de tendre un piège à l’escadre de Duperré. Utilisant les codes secrets français et arborant pavillon tricolore, il envoie le message « L’ennemi croise au large du Coin de Mire », leurrant ainsi Duperré qui ordonne à son escouade de traverser la passe. Aussitôt le Victor engagé, Willoughby, qui a placé le HMS Nereide à côté de l’île en position de tir, engage les hostilités.
Le Victor, en difficulté face à un feu nourri, abaisse ses couleurs, signifiant ainsi son intention de se rendre. Willoughby envoie des canots prendre possession de la corvette française, mais La Minerve et Le Ceylan parviennent à forcer le barrage anglais et à sauver Le Victor. Une importante explosion dans le fort permet également à La Bellone d’entrer dans le chenal, tandis que le Windham rebrousse chemin. Il sera capturé le lendemain par le HMS Sirius au large de Rivière-Noire. Les quatre navires français restants prennent une position défensive dans le lagon, en formant un croissant de lune.
Prévenu des péripéties de Willoughby à Grand-Port, Pym se précipite vers le sud à bord du Sirius, suivi par l’Iphigenia et du HMS Magicienne (32 canons), arrivé peu avant en renfort de l’île Bourbon. Une fois sur place, Willoughby indique à Pym que l’ennemi est « en force inférieure », sans tenir compte de la position défensive des Français qui leur donne l’avantage, même face à la puissance de feu supérieure des navires anglais. Les Britanniques se lancent tête baissée dans un combat perdu d’avance.
Les navires anglais entrent dans la passe, mais le Sirius et la Magicienne ne tardent pas à s’échouer sur les récifs. La Nereide et l’Iphigenia engagent les navires français, qui répliquent avec force. La bataille, terrible, fut une véritable boucherie, surtout à bord de la Nereide. De nombreux habitants de l’île assistent, horrifiées, aux hostilités depuis le rivage ou sur les hauteurs de Grand-Port, où la vue sur le lagon et la passe est imprenable.
Au total, 105 marins anglais trouvèrent la mort au large de Grand-Port (dont 92 à bord de la Nereide) et 163 furent blessés, tandis que les pertes françaises s’élevaient à 36 morts et 112 blessés. Tous les Anglais survivants, y compris Pym, furent capturés. Les Britanniques incendièrent le Sirius et la Magicienne pour que les Français ne puissent en prendre possession.
Le capitaine Duperré fut atteint à la joue par un éclat de canon, et le bouillant Willoughby perdit son œil gauche à cause d’un éclat de bois. Ils furent soignés côte à côte, dans le bâtiment qui abrite aujourd’hui le Musée Naval de Mahébourg.
Cette défaite est la plus terrible subie par la marine anglaise durant les guerres napoléoniennes. Elle est d’ailleurs la seule bataille navale à être mentionnée sur l’Arc de Triomphe, à Paris. Cette débâcle suscita une immense colère des autorités britanniques. Une flotte impressionnante ne tarda pas à être envoyée dans l’océan Indien pour prendre l’Isle de France coûte que coute. Pas moins de 7 000 soldats britanniques débarquèrent fin novembre, et l’île tomba en décembre 1810, quatre mois à peine après la bataille de Grand-Port.
En 1814, suite au traité de Paris, la France céda l’Isle de France (rebaptisée île Maurice) au Royaume-Uni. L’île Bourbon restera anglaise jusqu’en 1848.
Photo du haut: Vue du lagon de Grand-Port et de la fameuse passe depuis les hauteurs.