Le Dr Idrice Goomany fut un personnage hors du commun. Faisant partie des premiers médecins non-blancs de l'île Maurice à l'époque coloniale, il se dévoua corps et âme à ses malades, jusqu'à en mourir. Voici son histoire.
Idrice Goomany dut affronter bien des préjugés pour atteindre son rêve. A la fin du 19e siècle, la société coloniale mauricienne dans laquelle il vivait ne voyait pas d’un bon œil la réussite des personnes dites “de couleur”. Pourtant, malgré les difficultés et grâce aux sacrifices consentis par ses parents, le jeune Idrice réussit à devenir médecin.
Idrice Amir Goomany est né le 4 mai 1859, au “Camp des Lascars”, à Port-Louis. Son père, Ameer Goomany, était ce que l’on appelle un “lascar” de la deuxième génération. Ce terme, souvent utilisé aujourd’hui de manière péjorative, désignait des musulmans originaires d’Inde qui travaillaient pour la plupart sur des bateaux. Sa mère, Rosie Marguerite César, était une descendante d’esclaves originaires d’Afrique. Idrice était donc un métis.
Son père, ayant connu le racisme et la haine durant sa scolarité, décida d’envoyer ses fils, Idrice et son frère Assen, dans un établissement privé. Le jeune Idrice démontra très jeune un bel intellect et des capacités prometteuses. Il poursuivit son éducation secondaire au Collège Royal de Port-Louis. Après l’obtention de son diplôme, il travailla quelque temps au sein de la compagnie de son père qui était un homme d’affaires.
Au prix d'énormes sacrifices, ses parents parvinrent à l’envoyer en Europe pour qu’il devienne médecin. Au cours de ses voyages, Idrice Goomany, qui était beau garçon, tomba follement amoureux d’une jeune française. Malheureusement, cette idylle considérée “contre-nature” ne tint pas le coup face aux préjugés raciaux.
C’est à Glasgow, en Ecosse, qu’il apprit la médecine. Après de brillantes études, il rentra à Maurice en 1888 et travailla un moment au Camp des Lascars, le quartier de son enfance, en tant que médecin privé. L'année suivante fut très éprouvante pour la colonie. Une terrible épidémie de petite vérole assassine s'était déclarée, faisant des milliers de victimes. Les plus démunis, qui vivaient souvent dans des conditions sordides, furent les plus touchés.
Parmi eux, les travailleurs immigrés, venant principalement d’Inde, faisaient partie des plus vulnérables. Nombre d’entre eux mourraient avant même d’avoir atteint Maurice, durant le voyage de quatre mois qu’ils faisaient, entassés au fond des cales des bateaux. Pour faire face à la situation, le gouvernement colonial avait ouvert un centre de quarantaine dédié exclusivement aux travailleurs immigrés à Pointe aux Canonniers, là où se trouve aujourd’hui le Club Med.
Malheureusement, le responsable du centre, le docteur Beaugeard, succomba à l'épidémie. Les autorités firent alors des appels désespérés aux médecins pratiquants de l'île pour lui trouver un remplaçant. Tous refusèrent de prendre un tel risque. Tous, sauf un jeune “lascar” tout juste rentré de ses études… Le courage du Dr Goomany fut applaudi dans la colonie, toutes communautés confondues. Peu arrivaient à croire qu’un médecin aussi jeune puisse être prêt à se sacrifier pour sauver ces pauvres gens.
Très vite, le jeune trentenaire fit des merveilles au centre. Grâce aux soins qu’il prodiguait quotidiennement aux malades, un grand nombre d’entre eux furent sauvés d’une mort certaine, et ce, dès les premières semaines de son office. Mais ce qui devait arriver arriva… A la mi-juillet, alors que l'épidémie était presque enrayée, on annonça que le Dr Goomany avait lui aussi contracté la maladie. Il mourut le 28 juillet, et fut enterré à côté du centre de quarantaine de Pointe aux Canonniers avec tous les honneurs.
De nos jours, peu de Mauriciens connaissent le Dr Idrice Goomany. Pourtant, le sacrifice consenti par ce médecin dévoué, au seuil de sa vie, est l’une des plus belles pages de l’histoire de la médecine mauricienne. Idrice Goomany a légué son nom à un centre de désintoxication pour alcooliques et toxicomanes. Sa tombe est toujours visible dans les jardins du Club Med de Pointe aux Canonniers.
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Photo en tête d'article: La tombe du Dr Goomany à Pointe aux Canonniers.