En avril 1892, l’île Maurice se remettait difficilement d’une terrible épidémie de variole, lorsqu’elle fut frappée de plein fouet par le cyclone le plus dévastateur qu’elle n’ait jamais connu. Retour sur un épisode sombre et terrifiant…
Toute cette histoire se passa longtemps avant que l’on eut l'idée de donner un nom aux cyclones. Nous sommes en avril 1892, à l'île Maurice. A cette époque, ces phénomènes météorologiques causaient chaque année panique et terreur dans l'océan Indien, ravageant les récoltes et balayant les habitations, faites pour la plupart de bois et de tôles.
Maurice était dotée d’une des meilleures stations météorologiques au monde selon les standards de l'époque, la Royal Alfred Observatory, située à Pamplemousses. Elle était dirigée par le très respecté Dr Charles Meldrum. Pour prévenir de l'arrivée d’un cyclone, les météorologues se basaient essentiellement sur le baromètre et l’observation des conditions atmosphériques. Ciel rouge lors d’un coucher de soleil, grosses houles, direction du vent… Autant d’indices guettés par les prévisionnistes.
Lors de cette fin d’avril 1892, l’île semblait hors de portée des cyclones. Jusqu’ici, jamais de mémoire d’homme les Mascareignes n’avaient été touchées par un cyclone important après le 12 avril, date non officielle de la fin de saison cyclonique. Le 27 avril, l’observatoire nota la présence d’une forte houle venant du nord. Le lendemain, les météorologues confirmèrent la présence d’un cyclone au nord-ouest de l’île. Comme le baromètre n’indiquait pour l’heure rien d’alarmant et que les cyclones ont tendance à se diriger vers le sud-ouest, on jugea qu’il ne représentait aucun danger.
Le 29, le temps commença à se détériorer rapidement, mais le directeur de l’observatoire estimait toujours qu’il n’y avait aucune vraie menace. Dans les heures qui suivirent, le vent forcit et le baromètre s’affola… Plus de doute: le cyclone se dirigeait droit sur Maurice. Malheureusement, l’observatoire ne fut pas en mesure de sonner l’alerte, car les fils télégraphiques avaient déjà été arrachés par les bourrasques.
Les rafales soufflaient de plus en plus fort, jusqu'à atteindre la force d’un ouragan. Les lignes ferroviaires furent fermées, et la plupart des travailleurs des champs de cannes et des usines sucrières se refugièrent dans les gares en attendant que passe la tempête. Puis, vers 14 heures, le temps s'améliora subitement, au grand soulagement de tous. Plus de vent, le ciel était redevenu bleu…
De nombreuses personnes en profitèrent pour sortir et aller admirer la houle gigantesque qui s'abattait sur les côtes, surtout à Port-Louis où la mer avait inondé la Place d’Armes. Près d’une heure après l’accalmie, vers 15 heures, des vents d’une puissance inouïe balayèrent l’île avec une impitoyable soudaineté. Selon les témoins, on entendit un fort sifflement qui venait du nord juste avant le chaos. Plusieurs quartiers de Port-Louis furent complètement rasés, des maisons arrachées du sol, des bâtiments et des monuments s'écroulaient les uns après les autres…
Le monument Malartic, au Champs de Mars, fut coupé en deux par la force de la tempête. Des milliers de personnes furent ensevelies sous les décombres de leurs maisons. Plus d’un tiers de Port-Louis fut détruit. Ailleurs dans le pays, la désolation était semblable. Dans les Plaines Wilhems, une usine s’effondra, tuant 200 personnes. Les plus démunis, qui vivaient à l’époque dans des cases en paille, furent les plus durement touchés. Jamais on avait vu se déchaîner pareil cataclysme depuis le début de la colonisation des Mascareignes... Le soir même, le temps redevint clément. Le cyclone était parti aussi vite qu’il était venu.
Dans un article sur le phénomène publié dans la très respectée publication La Nature, en juin 1892, l’auteur Théophile Moureaux raconte: “La violence du vent pendant l’ouragan du 29 avril était tellement forte, et le bruit qui en résultait tellement grand, que l’on voyait partir pièce par pièce les maisons, et qu’on assistait à leur écroulement sans entendre aucun autre bruit que celui du vent et des chocs qu’il produisait à la rencontre des obstacles, chocs d’autant plus violents que ces obstacles présentaient plus de résistance ; il semblait que le vent, à ces moments, se transformait en bélier et frappait ces obstacles de coups répétés, à des intervalles tellement courts que bien peu des maisons, des monuments de la ville qui se trouvaient sur le passage du centre du cyclone, devaient rester debout après les ravages de la tourmente.”
Aujourd’hui encore, les spécialistes débattent de la réelle force du cyclone de 1892. Certains arguent qu’il était moins puissant que le cyclone Carol, qui ravagea Maurice en 1960 avec des vents maximaux de 256 km/h. En 1892, l'anémomètre de l’observatoire de Pamplemousses enregistra des vents d’environ 225 km/h avant de rendre l'âme. Il est toutefois fort possible que la force des vents ait largement dépassé ce seuil. L'ingénieur Régis de Chazal, qui fit des analyses sur les ruines du tombeau Malartic au Champ de Mars après la tempête, estima que les rafales qui ont frappé Port-Louis devaient dépasser les 275 km/h.
L’accalmie observée entre 14 heures et 15 heures fut fatale pour des centaines de personnes. Elle était due, comme certains ont pu s’en douter, au passage de l’œil du cyclone. Un œil énorme, à en juger par le temps qu’il mit pour traverser l’île du nord au sud (environ une heure) et la vitesse de déplacement phénoménale du cyclone, qui ne mit que quelques heures pour faire de la colonie un vaste champ de désolation…
En effet, dès 17 heures, les vents commencèrent à faiblir. A Port-Louis, les secours se précipitèrent pour rechercher les survivants dans les décombres. Ils passeront une nuit effroyable, surtout lorsque vint le moment de déterrer les cadavres des orphelines des ruines du Couvent des Sœurs de Charité. Le cyclone aura laissé dans son sillage plus de 1 500 morts, environ 5 000 blessés, et plus de 50 000 personnes sinistrées, le plus lourd bilan cyclonique de l’histoire de l’île. Et ce, en moins de six heures...
De cette terrible histoire, l’on a retenu deux choses. Premièrement, un cyclone est imprévisible, et ce, malgré toute la connaissance scientifique et l'avancée technologique dont on dispose. Il ne faut donc jamais sous-estimer un tel phénomène… Ce qui est toujours vrai de nos jours, d’ailleurs. Deuxièmement, il ne faut surtout pas sortir pendant le passage de l’œil d’un cyclone. A bon entendeur...