Bernard Moitessier fait sans aucun doute partie des plus grands aventuriers en mer que le monde ait connus. Navigateur solitaire épris de liberté, il fit naufrage à Diego Garcia et vécut durant trois ans à Maurice. Côte Nord revient sur cet épisode assez méconnu de sa vie.
“Le bateau, c’est la liberté, pas seulement le moyen d’atteindre un but.” Cette phrase de Bernard Moitessier pourrait résumer sa vie. Le navigateur français, né en Indochine (Vietnam) en 1925, passera une grande partie de son existence à parcourir de long en large les océans sans buts précis, juste pour le plaisir de naviguer et le sentiment de liberté que cela lui procurait.
Il est célèbre pour avoir participé au premier Golden Globe Challenge, en 1968, célèbre course en solitaire autour du monde sans escale. Alors qu’il est sur le point de remporter la course, il envoie un message à un paquebot et trace sa route. Son message disait: “Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme”.
Moitessier a également été l’auteur de livres racontant sa vie de baroudeur des océans, dont certains furent des best-sellers et inspirèrent de nombreuses personnes à prendre la mer en quête de liberté. Le premier d’entre eux, intitulé “Vagabond des Mers du Sud”, raconte ses premières traversées, dont une longue escale forcée de trois ans à Maurice.
Cet épisode moins connu de sa vie trépidante débute à Singapour, en 1952. Moitessier y avait acheté une vieille jonque qu’il baptisa Marie-Thérèse. Il s’agit de son second bateau; le premier, le Snark, avec lequel il avait quitté son Indochine natale l'année précédente, n'était plus en état de prendre la mer. Il quitte donc Singapour à bord du Marie-Thérèse, mettant le cap vers l'océan Indien. Son objectif est de visiter les Seychelles.
Avec pour seul outil de navigation un vieux sextant qui calculait la latitude et pas la longitude, le marin décide de passer entre les îles de l’archipel de Diego Garcia. Mais une erreur de navigation provoque le naufrage du Marie-Thérèse en pleine nuit sur l'île de Diego Garcia. Recueilli par l'armée britannique, qui occupait déjà l'île à l'époque, le navigateur est rapatrié manu militari vers Maurice.
Une fois sur l'île, Moitessier se lie rapidement d'amitié avec quelques familles descendantes de colons français, dont les Marrier d’Unienville et les Labat. Il séjourne notamment à Curepipe dans la famille de Marguerite Labat, célèbre animatrice de radio mauricienne. Puis il est pris en charge par le frère de Marguerite, Emile, qui possède à l'époque une maison sur la plage de Souillac. Il y croise probablement le poète Robert Edward Hart, qui vivait à Souillac et mourrut deux ans après l'arrivée de Moitessier à Maurice.
Afin de financer ses futures aventures et la construction d’un nouveau bateau, le Marie-Thérèse II, Moitessier exerce plusieurs petits métiers. Il fabrique du charbon, pêche en apnée… Et, durant un an, il sera aussi administrateur des pêcheries de Saint Brandon, archipel quasiment désert et isolé qu’il apprécia particulièrement pour sa beauté inviolée.
Il raconte également ses aventures lors de conférences très appréciées par la haute société mauricienne. Le marin, un homme sympathique malgré son amour pour la navigation en solitaire, se fait énormément d’amis dans l'île. Avec l’aide de certains d’entre eux, il publie le journal de bord de son voyage vers l'océan Indien. Il est finalement embauché par le consulat français en tant que secrétaire, ce qui lui permettra de mettre les voiles après trois ans à terre.
Parmi les anecdotes les plus marquantes de son séjour chez nous, Bernard Moitessier se fera mordre à la jambe par un requin en pêchant en apnée dans la passe de Souillac, alors qu’il avait été prévenu du danger par Emile Labat. Il manque de perdre sa jambe, mais un médecin de Curepipe parvient à lui épargner l’amputation. Moitessier lui en sera reconnaissant toute sa vie.
En trois ans à Maurice, l’aventurier a aussi eu le temps d’apprendre des rudiments de créole. Il construira d’ailleurs son bateau sans aucun plan avec l’aide d’un fabricant de pirogues local. En 1955, l’aventurier épris de liberté reprend la mer en direction de l’Afrique du Sud. La grande aventure pour lui ne fait que commencer, mais il aura laissé un souvenir indéfectible à tous ceux qui l’ont côtoyé à Maurice.