Bien avant Kaya, Bam Cuttayen représentait un idéal musical fortement engagé politiquement et profondément ancré dans la réalité sociale mauricienne. Son militantisme et sa proximité avec les plus démunis en firent l’un des plus célèbres porte-parole du séga engagé.
Bam Cuttayen fut l'archétype du poète militant et du chanteur engagé. Le chanteur mauricien n’est de nos jours guère très populaire auprès de la jeunesse de son pays, mais il occupe cependant une place capitale dans l’histoire politique et musicale de l'océan Indien. Né en 1952, Bam Cuttayen est un enfant des “années de braise”, les années 70, lors desquelles la jeunesse idéaliste mauricienne se leva, parfois au prix du sang, pour défier l'establishment.
Durant ces années de combats naquit le Mouvement Militant Mauricien (MMM), qui fait aujourd’hui encore partie des partis politiques les plus importants de l'île. S’il a changé de discours politique de nos jours, le MMM se réclamait à l'époque du communisme et du socialisme. Bam Cuttayen, couturier de profession, fut lui-même un fervent admirateur de la révolution prolétaire chinoise et de Mao, et fit partie des premiers partisans du MMM dès la création du parti en 1969.
Issu d’une famille modeste originaire de Quatre-Bornes, Bam Cuttayen découvre dès son plus jeune âge, les affres de la pauvreté et les injustices sociales. Il cultivera ainsi toute sa vie une philosophie profondément humaniste et une grande compassion pour les plus démunis. Le jeune homme développe parallèlement un intérêt particulier pour la musique, celle de l’Inde mystique de ses ancêtres, mais aussi celle que l’on joue le soir autour du feu sur son île, le fameux séga.
De cet amour pour la musique et de cet engagement politique naîtra le groupe Soley Rouz, qui marquera fortement les années de braise. Le groupe est composé de Bam Cuttayen, des frères Nitish et Ram Joganah, de Rosemay Nelson ou encore Lélou Menwar. Leur musique est jouée durant les rassemblements, les grèves et les manifestations de la jeunesse militante, qui chante les refrains du groupe tout en combattants les forces de répression.
Soley Rouz est particulièrement populaire auprès de la classe ouvrière, celle qui sue sang et eau dans les champs de canne, sur les chantiers de construction, dans les plantations, sur les docks ou à bord des bateaux de pêche. Leur musique est influencée par les traditions sonores des différents univers de ses membres. Elle deviendra un hymne au brassage culturel. Soley Rouz fait partie des premiers groupes mauriciens à mélanger les sonorités africaines du séga à celles de la musique traditionnelle indienne.
Le groupe sort trois albums avant que ses membres ne se séparent en 1979, poursuivant, pour certains, une carrière solo. Les frères Joganah créent un autre groupe engagé, le Grup Latanier, tandis que Menwar entame une longue quête musicale vers la redécouverte des sonorités africaines du séga. Bam Cuttayen, quant à lui, continue son pèlerinage pour la promotion d’une société plus juste, plus humaine, et pour l'éradication de la misère.
Vidéo: Pei Larm Kuler
Son premier album solo, Fler Raket, sort en 1980. Les admirateurs de Soley Rouz reconnaissent immédiatement la plume qui a fait le succès de nombreux titres de leur groupe préféré. Les chansons de Bam Cuttayen sont empreintes d’une profonde poésie, marquée par la nostalgie créole du temps passé, un amour incommensurable pour la nature et une foi inébranlable en la jeunesse. Chacune est porteuse d’un message profond. Parmi ses titres les plus connus figure, par exemple, “Gaby”, une triste mélopée à la mémoire d’un pêcheur mort en mer alors qu’il tentait de subvenir aux besoins de sa famille nombreuse. “Amandla”, titre dédié à Nelson Mandela, permet au chanteur de se faire connaître dans les autres îles de l'océan Indien.
Après avoir sorti trois autres albums qui connaîtront plus ou moins de succès ainsi que plusieurs recueils de poésie en créole, Bam Cuttayen décède d’une crise cardiaque en 2002, à l'âge de 50 ans. De nombreux artistes mauriciens, dont Kaya, peuvent être aujourd’hui considérés comme les héritiers de ce chanteur empreint de compassion et d'humilité. Bam Cuttayen n’aura pourtant jamais eu droit à la reconnaissance qu’il méritait de son vivant, mais aussi à titre posthume.
Vidéo: Brin Soley