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Charles Baissac, sauveur du folklore créole mauricien

Les Mauriciens lui doivent une fière chandelle. Charles Baissac, homme de lettres du 19e siècle et natif de l'île Maurice, nous a légué un précieux héritage à travers ses travaux sur les contes, proverbes, légendes et sirandanes en créole mauricien.

Sans Charles Baissac, les Mauriciens auraient sans doute oublié de nombreux contes relatant les aventures de Tizan” et des “konper zanimo, et n’auraient peut-être jamais connu la plupart des sirandanes astucieuses que l’on se racontait jadis autour du feu. Il fut en effet le tout premier à consigner soigneusement par écrit nombres de ces histoires, proverbes et paraboles en créole, qu’il récoltait en discutant avec des “vye dimounes” et des conteurs créoles, héritiers des griots africains. Il fut également le tout premier à étudier avec attention le créole mauricien, qu’il appelait “patois créole de l’île Maurice”.

Pourtant, Charles Baissac ne se destinait nullement à une carrière littéraire. Petit-fils d’un professeur de grammaire français immigré à Maurice, il naquit en 1831 à Port-Louis. Dès l'âge de douze ans, il partit suivre ses études en France, au collège Henri-IV, à Paris. Le jeune Charles se destinait, au départ, à devenir médecin. Toutefois, en 1854, il revint à Maurice pour des raisons restées obscures, abandonnant ainsi ses études.

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Charles Baissac, portrait restauré par Emmanuel Richon.

Il se consacra par la suite à une carrière dans le professorat, devenant tour à tour précepteur pour les riches familles de l'île et enseignant dans des collèges privés. Il collabore à quelques revues et journaux comme le Cernéen, écrivant notamment des chroniques théâtrales sous le pseudonyme de Basile Vespus.

Embauché en 1870 au Collège Royal, il obtint une chaire de professeur de français en 1875. Ce poste lui procura suffisamment de rentes pour entamer une belle carrière littéraire. Il écrivit quelques nouvelles, un peu de poésie, des articles dans les journaux… Un parcours jusqu’ici fort banal. Mais, curieusement, alors que ses contemporains descendants de colons n’avaient aucun semblant d'intérêt pour la langue créole, Charles Baissac s’y intéressa de très près.

Il fut le tout premier auteur à publier une étude détaillée de la langue créole, en 1880: “Etude sur le patois créole mauricien”. L’objet principal de ce document est d’expliquer les procédés de “l'altération de la langue française” qu’est, selon lui, le langage créole. Malgré cette vision pour le moins réductrice du créole, “Etude sur le patois créole mauricien” reste encore de nos jours un formidable outil pour les linguistes, ayant figé par la plume les particularités du créole parlé au 19e siècle.

L'étude de Charles Baissac fit une grande impression dans les cercles littéraires, aussi poursuivit-il son colossal travail de sauvegarde. Ses lecteurs se délectèrent particulièrement des nombreux proverbes, dictons et sirandanes utilisés dans son texte pour illustrer son propos. Peut-être est-ce ce qui l’encouragea à collectionner un maximum de ces proverbes, paraboles, contes, légendes et fabliaux créoles dont sont toujours si friands les locuteurs de cette langue.

Voici quelques exemples de ces superbes “dictons créoles” que l’on peut retrouver dans l’œuvre de Charles Baissac, dont beaucoup ne sont malheureusement plus utilisés de nos jours (l’orthographe choisie par l’auteur a été conservée):

Ca qui fine goute larak zamé perdi so gout

Vous guéte larac la, larac la guéte vous; vous vine fébe

Dans mariaze liciens témoins gagne batté

Blancs napa laçarité pour malhérés

Souliers faraud, mais domaz zautes manz lipieds

Larzent napas trouve dans lipieds milet

Larzent bon, més li trop cér

Zoure napas ena lentérement

Béf laqué en lér, mauvais temps napas loin

D’autres, comme “bate rande napa fer dimal”, “sap dan pwalon, tomb dan dife”, ou encore “lalang pena lezo” ont survécu aux affres du temps, et font aujourd’hui pleinement partie du parler de tous les jours.

En 1884, Baissac publia “Récits créoles, contes et nouvelles”, qui lui valut la reconnaissance de l'Académie française. L’œuvre compte quelques anecdotes, semble-t-il vécues, ainsi que de superbes contes qui paraissent être sortis tout droit de son imaginaire, tels que “Montagnette au pays des coqs”.

Ce n’est qu’un peu plus tard que Baissac consignera de véritables contes de tradition orale créole. Dans “Le folk-lore de l'île Maurice” (1888), l’auteur propose une version française et créole de nombreux contes comme “Zistoire quate lacloces”, “Zistoire loulou”, “Zistoire Ptit Zean”, “Zistoire Namcouticouti”...

Certaines de ces histoires sont issues du terroir européen et adaptées au contexte créole de Maurice, comme le conte de Peau d’Ane, le Petit Poucet, la Poule aux Œufs d’or… D’autres sont sans doute les héritages de conteurs venus d’Afrique, de Madagascar ou d’Inde, même s’il est impossible aujourd’hui de confirmer avec certitude leur origine.

L’histoire du sauveur du folklore créole se termine mal. En 1892, Maurice est frappée par un cyclone dévastateur, l’un des plus puissants ayant touché l'île. La maison de l'écrivain, comme une grande partie de Port-Louis, est complètement anéantie. Avec elle, disparaissent de nombreux manuscrits et, on l’imagine, ses notes pour ses futurs ouvrages. Combien de sirandanes, de contes et légendes d’antan ont été perdus par la faute de ce maudit cyclone? On ne le saura malheureusement jamais. Baissac, sans doute dévasté par cette catastrophe, s'éteignit quelques mois plus tard à Beau-Bassin.

Malgré cette fin tragique, Charles de Baissac connut une belle reconnaissance après sa mort. Il fut notamment fait Chevalier de la Légion d’Honneur par le gouvernement français. Peu d’auteurs mauriciens peuvent se vanter d’avoir obtenu une telle décoration...

Plusieurs œuvres de Baissac ont été rééditées après sa mort, en partie ou en totalité. On peut consulter quelques-uns de ses ouvrages, dans leurs éditions originales, en lecture gratuite sur le Net. Voici quelques liens:

Récits créoles, contes et nouvelles

Etude sur le patois créole mauricien

Le Folk-lore de l’île Maurice

Sampek, Missié Baissac!

 

Photo en tête d'article: Charles Baissac, portrait restauré par Emmanuel Richon.

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