A la découverte du rhum

Tout au long de sa jeune histoire, le développement de l’île Maurice reste étroitement associé au sucre issu de la canne. Un des sous-produits reste aussi fortement lié au folklore mauricien, le rhum. Souvent considéré comme la boisson des pauvres, il commence depuis le début du XXIe siècle à trouver une certaine noblesse avec la production de rhums de connaisseur. Aujourd’hui six distilleries opèrent à Maurice pour le marché local mais de plus en plus sur l’international où les récompenses de plus en plus nombreuses (Médaille d’Or pour les rhums New Grove de Grays à Berlin, Médaille d’Or, d’Argent et de Bronze pour la gamme Bougainville d’E.C. Oxenham en Chine, pour ne citer que quelques-unes remportées cette année) attestent de la qualité du rhum mauricien. Au moment où le sucre passe par des jours plutôt incertains, le rhum pourrait perpétuer l’avenir de la canne. Côte Nord revient sur l’aventure du rhum et fait un survol de la production.

Le rhum, intimement lié à l’histoire de Maurice

Depuis les temps immémoriaux, l’homme a fabriqué des boissons fermentées. Du soma de la période védique en Inde, aux cocktails d’aujourd’hui en passant par les vins du bassin méditerranéen d’avant l’ère chrétienne. Les premiers colons hollandais ont apporté de l’arack en provenance des Indes orientales, fabriquée à partir de mélasse de cannes à sucre ou de décoction de feuilles de latanier ou de palmier fermentées à partir d’un levain préparé à partir du riz. Un colon hollandais, Jan Harmansz devait alors se lancer dans la distillerie de la sève fermentée du Latanier à Flacq. Quand la canne fut introduite en 1639, très vite l’arack devint la première industrie de l’île pour arriver en 1980 à 6 000 litres de rhum par an produits.

À leur tour, les Français, sous l’impulsion de Mahé de La Bourdonnais, se mirent à fabriquer du « guildive » (de l’anglais kill devil, tue-diable), un tord-boyaux dont on peut aisément deviner la qualité. Le premier « guildiverie » verra le jour en 1742 à Villebague.

C’est là sans doute, l’ancêtre de la distillerie de Beau Plan (Grays).
La consommation du rhum ira croissante pour atteindre en 1816 le chiffre de 39 litres par tête d’habitant. Une hausse qui s’expliquait largement par le fait que de nombreux habitants de l’île fabriquaient leur propre rhum dans des lambics faits maison,ce qui devait donner le nom de tilambic à cet alcool de mauvaise qualité contenant cuivre et plomb. Pour masquer le goût de ces métaux, les producteurs eurent l’idée géniale d’y laisser macérer fruits et épices. Le rhum arrangé était né.

Vers le milieu du XIX siècle, la production du rhum de mélasse se centralisa pour atteindre le chiffre de 100 000 litres par an. La boisson était à l’époque surtout consommée par les classes populaires, la haute société privilégiant le whisky que les Anglais ramenèrent.

Cette prospérité du rhum allait baisser au début du XXe siècle avec l’imposition de droits d’assises très forte sur l’alcool. Ce qui contribua à la prolifération de production clandestine de très mauvaise qualité. Les ordonnances 18 et 19 de 1933 règlementèrent alors ce déclin de la production d’alcool en y interdisant la fabrication d’alcool en dessous de 93 %. Une réglementation qui perdurera jusqu’en 2000. Son abrogation permit aux deux dernières distilleries encore en activité (Gray’s et Medine) de produire et stocker enfin de véritables rhums de caractère et surtout l’émergence de nouvelles installations : Saint Aubin en 2003, Chamarel en 2006, Labourdonnais en 2008 et Oxenham en 2010. Modestes au début, ces dernières montrent aujourd’hui de l’ambition et se font déjà connaître dans la production de rhums internationale.

La fabrication du rhum de mélasse

La fabrication du rhum se fait en quatre étapes : fabrication de la mélasse, la fermentation, la distillation et la maturation (ou vieillissement).

  1. La mélasse est sous-produit de la fabrication du sucre. C’est un liquide visqueux brun encore très riche en sucre (jusqu’à 40 %).
  2. La fermentation est un procédé sous lequel le sucre est transformé en alcool avec l’apport des levures. Une température entre 30 et 35°C est requise. Il faut 3 litres de mélasse pour obtenir un litre d’alcool
  3. La distillation est l’opération par laquelle on extrait l’alcool du vin alcoolique résultant de la fermentation. Autrefois réalisée dans des alambics, elle se fait aujourd’hui dans des colonnes à distiller.
  4. La maturation, entre 10 et 18 mois, pour le rhum blanc est réalisée dans des cuves en inox. Le vieillissement se fait dans des fûts en chêne entreposés dans un chai pour un minimum de 3 ans pour les rhums vieux.

Oxenham

C’est le dernier venu dans le groupe des producteurs de rhums. Maison de vin connue depuis 1932, E.C Oxenham s’est lancée depuis 2010 dans un projet de production de rhums. C’est la seule unité à ne pas être située sur une propriété sucrière mais dans le centre de l’île au bord de l’autoroute. La distillerie elle-même, occupe un petit bout d’entrepôt. Mais Dean Oxenham, le fer de lance du projet, et son cousin Ludovic, œnologue, s’y investissent totalement avec en point de mire des résultats prometteurs dans très peu de temps. Forts du succès de la gamme Bougainville issue de la mélasse, les cousins se lancent dans la production d’un rhum agricole qui a commencé avec l’acquisition d’un nouveau moulin, d’une petite cuve de fermentation en inox de 1 000 litres et de deux alambics hybrides, oignons surmontés de catalyseurs d’une capacité de près de 400 litres. Le vieillissement se fait en fûts de Xérès (Oloroso) pour les rhums issus de la mélasse et en fûts de vin blanc d’Afrique du Sud pour les rhums issus du vesou.

St Aubin

Installée au milieu des vestiges restaurés de l’ancienne sucrerie du domaine dans le sud-est de l’île, la distillerie de Saint Aubin allie modernité et histoire. Propriété de la famille Guimbeau, elle est l’exemple type de la propriété artisanale, produisant à la fois du rhum de mélasse et du rhum agricole. A la différence des autres distilleries, St Aubin a fait le choix de produire ce dernier qui est fait à partir du « pur jus » de la canne rouge récoltée à la main et broyée dans un moulin à main. Après son premier « oignon » de la marque Hradecky Pacov pouvant produire jusqu’à 50 000 litres de rhum 'pur jus' à 50° par an,Saint Aubin a décidé en 2011 d’investir dans une haute colonne qui a auparavant produit du brandy en Afrique du Sud. Cette structure devrait permettre à la distillerie de produire plus d’un million et demi de litres (à 50 %) de rhum à partir de 12 000 tonnes de sa récolte.

Grays

Deuxième plus ancienne distillerie sur l’île, Grays, fondée en 1932, est certainement la plus grande en termes de capacité de production. Faisant partie du groupe Terra, fondé en 1838 par la famille Harel, elle peut compter sur une pro -duction cannière sur près de 7 000 hectares de canne.

Située a Beau Plan, la distillerie peut produire jusqu’à 7 millions de litres par an. Après le changement dans la réglementation en 2001, Grays aura été le premier à travailler sur l’éla -boration d’un rhum haut de gamme. Elle produit aujourd’hui 60 000 litres de « vrai rhum » annuellement, dont le vieillissement a été confié à Christian Vergier. Les rhums blancs sont mis à « stabuler » au moins 8 mois alors que ceux destinés à vieillir sont mis dans des tonneaux de chênes du Limousin. Ils y resteront trois ans au minimum pour les rhums bruns et jusqu’à 25 ans pour les rhums vieux. C’est ce procédé qui a permis la naissance à la marque phare de Grays, New Grove.

Labourdonnais

Installée sur le domaine familial de Labourdonnais datant de 1771, la distillerie de Labourdonnais avait démarré en 2006 sous le nom de Rhumerie des Mascareignes. Fruit d’un partenariat avec la maison réunionnaise Isautier, elle produit uniquement le rhum « agricole » à partir du jus de canne. Elle a pris cette année le nom de Distillerie de Labourdonnais dans l’esprit même d’un projet ambitieux de production de 500 000 litres d’alcool par an à partir de 8 cuves de fermentation en inox thermorégulées de 20 000 litres chacune et une colonne de 34 plateaux, construite en plein air.

La distillerie mise beaucoup sur sa nouvelle gamme Fusion, qui propose des rhums fruités dans l’esprit des rhums « arrangés » produits à partir de la canne et des fruits du domaine.

Chamarel

La Rhumerie de Chamarel a été lancée en 2008 dans un esprit d’offre touristique complète avec restaurant gastronomique, boutique et visite du site de production. Cette usine produit du rhum pur jus de canne à partir de cannes cultivées en propres sur 30 à 35 hectares. La distillerie a une production annuelle réelle 170,000 L/an à 55% mais peut potentiellement aller jusqu’à 225,000 L/an. Propriété de la famille Couacaud, elle s’est équipée à la fois d’alambics à repasse et de colonnes afin de composer une large variété d’eaux de vie. La colonne est un modèle Barbet. La cons truction d’un chai spécifique est envisagée actuellement pour un projet de rhums vieux.

Médine

Créée en 1926, Medine, située dans l’ouest de l’île, est la plus vieille distillerie de l’île. Depuis dix ans, le directeur Jean François Koenig, s’est lancé dans un vaste pro gramme de modernisation pour mettre la production au goût du jour. Bénéficiant d’une production de canne sur 3 000 hectares de la propriété mère du même nom, la distillerie produit quelque 6 millions de litres d’alcool par an. Medine produit uniquement du rhum à partir de la mélasse. Les rhums sont vieillis dans deux chais où s’empilent depuis 2006 les fûts principale ment de Bourbon. La distillerie s’est assurée l’expertise d’une maison britannique, Berry Bros, pour améliorer les techniques de vieillissement et d’assem blage. Cette dé marche a permis la création de cuvées exceptionnelles, Pink Pigeon et Penny Blue.

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